Interview réalisée par Ludo

Aghast est un groupe Français qui joue depuis plusieurs années un émo-punk de qualité. Si comme nous, vous avez pris une bonne claque à l'écoute de leur dernier disque "consumer", voici une bonne occasion d'en savoir un peu plus sur eux...

1 - Une petite présentation ?
Damien : Salut ! Aujourd'hui aghast reste composé des même membres depuis son commencement,: Filip, Jérôme, Yann, Tibo et moi-même. Mais il y a des personnes qui font indirectement partie du groupe et sans lesquelles on ne pourrait pas réaliser certains de nos projets. Il s'agit de stephane qui a fait le son sur tous nos enregistrements, mais aussi David Wee-Wee, Greg Rejuvenation, Jeff B.U.R.T., Xavi Error Records, Pik web, les gens de l'étincelle, du Clan D, mais aussi de ceux qui organisent des concerts et font des interviews comme toi!!!!!!

Philippe : Pareil que Miguel! je rajouterai juste que nous avons commencé à répéter début 98 et qu'on a commencé les concerts environ un an plus tard.


2 - Comment avez-vous atterri dans cette scène "punk-hardcore" ? Y-a-t-il des gens ou des groupes qui ont été d'une grande influence pour vous ?
Damien : Je ne suis pas sûr que ça ai de l'importance de savoir comment on atterri dans une scène alternative. Cela passe toujours par des rencontres, un environnement, puis une accroche, à la musique ou aux idées, qui s'affine avec le temps. Sinon dans la scène punk HxC je n'ai jamais rencontré de personnes qui ont influencé des choix importants pour ma vie. J'ai surtout rencontré beaucoup de personnes avec lesquelles je partage les mêmes points de vue sur la vie, et sur les valeurs. Musicalement c'est vraiment difficile car je suis influencé par trop de groupes, le principal a été Gorilla Biscuit. Ce groupe réussi à mélanger l'énergie, la bonne humeur, de superbes mélodies, de superbes textes et surtout un album "Let's start today" sans un seul morceau moins bien qu'un autre. Au niveau d'aghast un groupe qui nous a indéniablement influencé c'est TEKKEN. Il nous ont montré l'importance de savoir s'amuser dans ce que l'on fait et de rester simple.

Philippe : Pour ma part, je vois les choses un peu comme Damien. Je doute qu'il y ait réellement une coupure nette et franche entre une vie d'avant et une supposée nouvelle existence radicalement différente de la précédente qui se déroulerait dans le monde merveilleux du punk hardcore. Je pense plutôt que c'est une espèce de processus, quelque chose qui s'inscrit dans une durée. Je ne pense pas que ce soit juste ni sain de dire "je suis punk hardcore". Je crois plutôt qu'il faudrait dire "je m'investis dans" ou "je participe" ou "je m'intéresse" au mouvement punk hardcore. C'est fondamental à mon sens de ne pas enfermer les choses dans un état avec toutes les conséquences néfastes que l'on peut imaginer derrière cette idée d'enfermement et ce caractère immuable par définition de l'état mais plutôt de les ouvrir sur le mouvement... Je crois que le punk au niveau individuel représente plutôt une démarche, une réflexion, une (auto)critique au quotidien... Dans un cadre plus global, cette idée de mouvement rend aussi compte de l'aspect revendicatif et "effervescent" du punk hardcore. Je dis effervescent en pensant à toutes ces bonnes volontés, ces passionnés qui font que le punk n'est pas qu'un pseudo scène musicale supplémentaire qui ne serait que le produit d'une poignée de multinationales... le punk hardcore n'existe que part ses propres moyens. C'est une véritable scène autogérée... je crois que c'est une élaboration en commun d'un espace commun pour que chacun puisse s'exprimer. C'est un schmilblick qui se construit et évolue au cours du temps en fonction des interventions de chacun. Par ce biais là, je crois que l'on se nourris forcément des rencontres et des découvertes qu'il est possible de faire, dans ce milieu ou ailleurs.


3 - Quel regard portez-vous sur "consumer" ? Quelles sont vos attentes avec ce disque ?
Damien : Perso je n'ai aucune attente vis-à-vis de "consumer". En fait, ce qui me fait plaisir c'est d'avoir l'objet chez moi et de pouvoir l'écouter. Après je suis super content du résultat, surtout du artwork fait par Yann et des textes de filips. Je trouve que "consumer" est la suite logique de ce que l'on a fait avant. Il nous ouvre de nouvelles possibilités musicales, graphiques, et sur les écrits.

Philippe : Il me semble qu'on attend quelque chose d'un disque avant de l'avoir réalisé. Ensuite, il ne nous appartient plus vraiment, c'est une autre histoire. On a des attentes en fait lors de son élaboration. Après il n'y a plus rien à attendre. Sinon je suis content de ce disque dans son ensemble même si évidemment on peut toujours trouver quelque chose à redire...


4 - Le titre et les différents textes du disque semblent porteurs d'un véritable message et d'un certain dégoût pour notre société, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Damien : Je n'ai pas ressenti de dégoût pour la société en lisant les textes de filip, plutôt une critique qui doit t'amener à une réflexion sur ta propre personne, comment tu te places et où tu te situes dans notre société, l'importance des choses, trouver l'essentiel, ce qui va donner un sens à ce que tu fais. Je ressens les textes de filip plus comme un gros coup de pied au cul pour te dire qu'il faut se réveiller et balayer tous ce qui est superficiel et l'illusoire (drogue, apparence, argent, luxe ....).

Philippe : Dégoût, colère, critique, déception ou même hallucinations, c'est à chacun de voir... Ce qu'il faut préciser, c'est que ces textes ne pointes pas du doigt que des vilains méchants et qu'il nous faudrait un super héros pour nous débarrasser de tout ça! Je parle du monde dans lequel nous vivons et auquel nous participons tous de bon gré ou malgré nous. Je n'ai pas écrit ces textes en me disant "tiens! je vais donner une leçon aux gens parce que les gens, ça comprend rien!". Je parle de choses qui nous concernent à tous et moi y compris. L'apparence par exemple : c'est un carcan auquel nous sommes tous confrontés. Notre corps et tout ce qu'il peut porter est notre première identité publique. C'est la première chose que les autres voient de nous, avant même tout contact verbal . Lle physique véhicule beaucoup de signes, de symboles (un sweet de marque qui coûte cher, un badge des Dead Kennedys, une jupe chopée aux fripes, une cicatrice, des cheveux crépus, une longue barbes, un gros ventre avec double menton et calvitie, un regard de méchant, être toujours impeccablement propre, avoir une grosse BMW ou une petite Citrono-talbot, être tatoué, tatati et tatata....) qui finissent par nous définir dans le regard d'autrui. On cherche tous plus ou moins à contrôler notre apparence car nous avons tous le besoin ou le désir de maîtriser qui nous sommes... L'identité, ce n'est pas complètement quelque chose d'hérité ni complètement quelque chose qu'on se construit. C'est une espèce d'aller-retour entre les deux et il y a aussi un mécanisme d'aller-retour entre l'image que l'on se fait (ou que l'on veut se faire) de soi et l'idée que s'en font les autres. C'est un jeu de questions-réponses auquel les soi disant rebelles et les soi disant moutons sont tous confrontés. C'est la société du paraître pour être. Même celui qui la renie en bloc est contraint à la subir.


5 - Vous semblez désormais privilégier l'écriture de vos textes en français ou ceci n'a pas vraiment d'importance pour vous ?
Philippe : Non, on ne privilégie pas vraiment plus le français qu'avant. Comme l'a précédemment dit Damien, avec consumer nous avons voulu prendre la place pour s'exprimer. Pour cela nous avons d'ailleurs imprimé le livret du disque dans un autre endroit que celui où il a été pressé afin de pouvoir avoir plus de pages pour un tarif abordable... Bref nous avons voulu plus d'espace. On voulait se lacher, que le livret soi épais et bien rempli... C'est le pourquoi du comment de la présence de tous ces textes en général et en français en particulier. Quand j'écris, il y a en permanence un d'aller-retour (putain va falloir que j'enrichisse mon vocabulaire ou que je parte en voyage!) français - anglais parce que le français est ma langue maternelle et que l'anglais est la langue que j'ai choisi pour principalement écrire les textes du groupe. En fait, il y a toujours eu quelques lignes en français dans tous les disques à l'exception de polaroid. J'écris plus en français qu'en anglais donc dès qu'il y a plus de place, c'est la langue qui ressort.


6 - Pourquoi vous voit-on si peu sur les routes ?
Damien : Et oui, et oui !!! nous aimerions d'autant qu'on adore ça. En fait, il existe une solution simple : Il faut une personne qui ce dévoue gratuitement pour garder mes deux petites filles et celle de Yann ! Voili voilou, en gros on est plus étudiant et l'on a tous des obligations professionnelles ; alors on jongle avec et l'on continue tranquillement. C'est le cas de tous les groupes. Au bout d'un moment ton choix est vite vu, soit tu n'as pas de famille, tu plaques tous et tu te lances sur les routes, ou alors tu trouves des compromis et tu continues ton groupe, sinon tu arrêtes. Un groupe, c'est énormément de sacrifices. Dans aghast, on en a tous fait, alors je peux te dire que ce groupe, on y tient.


7 - Comment voyez-vous l'avenir du groupe ? Est-il toujours facile d'exister malgré la disparition de plus en plus fréquente des structures indépendantes ?
Damien : L'avenir du groupe ??? bonne question. J'espère que cela va continuer, dans la même ambiance et avec du coeur.
Sinon concernant les lieux autogérés, tu as entièrement raison et je vais me répéter mais je crois qu'un groupe n'est pas seulement composé des personnes qui jouent mais qu'il fait parti d'un ensemble. Donc, il est sûr que lorsqu'une partie de cet ensemble disparaît et bien tout se fragilise. Cependant, je ne crois pas que ce soit la mort, car tant que la société produira des inégalités il existera toujours des gens pour trouver des moyens afin de proposer une vision alternative de la vie.

Philippe : J'espère que ça durera le plus longtemps possible... Mais ça dépendra également de notre capacité à le conjuguer avec le reste de notre vie...
Quant aux structures indépendantes, je ne sais pas si elles sont en voie de disparition ou non. C'est sûr que les squats sont par définition des lieux précaires mais cette activité est elle réellement en déclin? ( du moins quand on n'est pas noir de peau et sans titre de séjour...). Il me semble qu'il y a régulièrement aussi, de nouveaux collectifs qui s'organisent pour monter des concerts et assimilés même si évidemment on voit également fleurir beaucoup de festivals "usine" dont on peut discuter le caractère non-lucratif et la véritable portée culturelle. Il y a des réussites aussi. Le clandé à Toulouse par exemple est un lieu alternatif, dynamique et qui se maintien... Ce qui est préoccupant peut être, c'est le cas des bars. On leur met la pression avec les normes de sécurité. Je ne dis pas qu'il faut organiser des concerts n'importe où au péril des vies, mais il y a une instrumentalisation de ces normes pour contrôler la population par la gestion de l'espace (genre ici on dort , là on travaille et pour s'amuser on concentre les activités à cet endroit...). Les petits bars sont le cadre principal me semble-t-il, pour les concerts des groupes amateurs inconnus au bataillon. Ce n'est pas possible financièrement de monter un concert dans une grosse salle bien comme il faut quand on sait qu'il n'y aura que 30 personnes dans le public... Et si à cela on ajoute les associations de citoyens contre les cafés pour avoir un centre ville plus"calme", on glisse grave.. Je ne sais pas vraiment qu'elle est la situation exacte des structures indépendantes, si ce n'est qu'il y a nécessairement lutte pour faire vivre quelque chose d'alternatif.


8 - Quel est jusqu'à présent le meilleur moment que vous avez passé avec Aghast et à contrario le pire ?
Damien : Je ne peux pas te répondre, c'est un peu comme le yin et le yang, tous ce que je vis avec aghast me procure beaucoup de plaisir, mais aussi de frustration, de colère. Il y a des périodes difficiles où l'on sais que cela va être tendu par exemple pour les enregistrements et en même temps j'adore ces moments car il y a beaucoup d'énergie. Pour les tournées et les concerts, c'est différent. On est plutôt des joyeux lurons, on part avec notre fourgon en chantant des conneries avec des blagues débiles et l'on revient dans les mêmes conditions, avec plus ou moins d'engueulades entre temps. Sinon, il y a des lieux où l'on sait super bien amusé, l'étincelle, le clandé, Arrebato (Saragosse) et le Bikini putain de concert!!!!!
Philippe : Quand on a traversé le Groenland......


9 - Vous avez déjà joué dans différents pays, quelle comparaison peut-on faire avec la France (structures, accueil, lieux, etc…) ?
Damien : C'est marrant, mais ta question me fait penser à une question géopolitique !!! Perso je ne cherche pas de comparaison et pour le moment partout où nous sommes allés, cela à été super, avec toujours des plans marrants comme en Espagne, où l'on a joué dans un bowling ; l'organisateur a fait une tombola pour payer les groupes. Puis Copenhague où l'on a joué dans un lieu autogéré qui est un immeuble, avec plusieurs salles de concert, de répétition, de conférence, un dortoir, une cuisine immense, un bar…. Enfin le truc de rêve.

Philippe : Tu fais sans doute référence à notre tournée avec Iscariote dans l'Est et le Nord de l'Europe... C'est assez délicat d'émettre une opinion sur ces choses-là. Notre périple à forcément était éclair (maximum 2 dates dans chaque pays) pour répondre à ta question, il aurait fallu vraiment passer plus de temps sur place. Au sortir de cette tournée, je peux dire que j'ai seulement des impressions... Sur la route en Suisse et en Autriche, on a croisé beaucoup de belles voitures. On a pu apercevoir à l'occasion des concessionnaires de grosses cylindrées puis en entrant en république tchèque, les voitures n'étaient plus des Mercedes, des BMW ou des Audi. On a plutôt vu des sites de revente de voitures d'occasion et la digression s'est poursuivie jusque sur les routes polonaises que nous avons empruntées. Là-bas, on à même vue des "casses" comme jamais on avait vu, où il y avait de tout, des portières, des pare-chocs... par centaines rigoureusement rangés les uns contre les autres, bien alignés... c'était mortel. Donc tout ça pour dire, que les moyens à disposition des locaux sont à l'image de cet exemple... les Polonais qui nous ont fait jouer se sont littéralement fait attaquer par la police dans leur squat quelque temps après. Alors qu'a Copenhague, nous avons joué dans un immeuble légué "aux jeunes" par la municipalité, il y a plus de vingt ans. Je n'ai aucun souvenir d'un quelconque jeune Polonais portant des vêtements militaires alors qu'ici le treillis est souvent de rigueur ; même Jean-Paul Gautier s'en est servi! en république tchèque nous nous sommes arrêtés à la station-service d'une grande surface. Le parking était rempli au quart. Il y avait un panneau publicitaire qui annonçait un festival pour avril 2003... nous étions en août 2004. Dans le squat de Copenhague, il y avait 20 ou 25 concerts par mois, du tout petit groupe local au plus "incontournables".


10 - Qu'est-ce qui vous à mis une claque dernièrement toute forme culturelle confondue ?
Damien : Rien, il y a bien longtemps que je n'ai pas vue quelque chose qui me laisse sur le cul. Si tu veux, il y a 15 ans, je pensais que tout n'était pas faisable… Maintenant je suis sûr du contraire. A partir de là, plus rien ne me surprend d'un point de vue technologique, ou artistique. Un truc qui m'a choqué c'est le reportage de Paula Reeves "Tranquility bay" qui parle d'enfants torturés dans des écoles de redressement au Etat Unis. Il faut savoir que ce sont des écoles mormones qui notamment ont financé la campagne électorale de Bush donc autant dire que ces établissements sont intouchables. L'un d'eux, a était ouvert en République Tchèque mais il a vite été fermé. Ce qui me choque, c'est de savoir que ce sont les parents qui envoient volontairement leurs enfants dans des lieux de torture et ils signent un papier autorisant ces actes. Pourquoi font ils cela ? Tout simplement car ces établissements répondent à un besoin créer par une société basée sur des critères d'apparence. Leurs enfants ne travaillent pas bien à l'école, allez hop ! "Tranquility bay" ! Oh merde mon fils fume de l'herbe ! "Tranquility bay". Ces écoles promettent qu'après un petit séjour leur enfant sera devenu un enfant parfait, qui travaillera bien et rentrera dans les critères de la société américaine. France c'est pour quand ce type de truc ?

Philippe : J'ai bien aimé 28 jours plus tard un film de Boyle, le gars qui a fait Trainspotting . C'est un super film de SF. C'est ça qui est excellent Il a tout du film fantastique avec des zombies sauf que c'est de la SF.


11 - Quels sont les futurs projets du groupe ? Et de votre asso "aspidistra" ?
Damien : Jérôme se concentre actuellement pour sortir "consumer" en vinyle. Sinon et bien on va composer pour sortir un nouveau truc, et sortir certainement un nouvel opus de la compil CD-R d'aspidistra.

Philippe : On projette aussi de mettre notre distro en ligne.


12 - Je vous laisse le mot de la fin…
Damien : Merci pour cette interview portes toi bien, A+

Philippe : Pareil que Miguel! Merci pour ton intérêt et à plus.


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